Un métrage, une image : « Ça n’arrive qu’aux autres » (1971)
Deux ans avant Ne vous retournez pas(Roeg, 1973), « Nadine Marquand Trintignant écrit et filme » la mort d’une enfant, le comportement des parents, s’inspire du décès de la sienne, celle aussi de Jean-Louis. Tandis que Marie, dédicataire, en plein air, s’occupe d’un oiseau, avec un taiseux Benoît Ferreux (Le Souffle au cœur, Malle, 1971), le générique aligne les noms en relation, sinon d’une génération : Lelouch & Pinoteau, Serge Marquand & Catherine Allégret, William & Nicole Lubtchansky, Michel Polnareff & Jean-Loup Dabadie, Corneau & (Élisabeth) Rappeneau. Durant une heure trente de douleur, le spectateur quitte pendant une demi-heure le grand appartement, fi du téléphone, voici des bougies, décoré par Gitt Magrini (Le Conformiste, Bertolucci, 1970 ou Peau d’Âne, Demy, idem), qui costume en sus. « Catherine » & « Marcello » désirent « rester tranquilles », portent de drôles de robes, ermites à domicile, coupe courte, de curé décalé, chevelure rousse, un brin à la Isabelle Boulay. À l’instar de La Race des « seigneurs »(Granier-Deferre, 1974), le passé indocile ne cesse de s’imposer, de parasiter ce présent immobile. Comme chez Roeg, le futur apparaît à l’imparfait : il suffit que Deneuve se rende dans une pharmacie, acheter des couches pour leur « gentille » Camille, et Mastroianni assiste aussitôt à une scène surréelle, de type en train de courir, au bébé enturbanné, immaculé, de flic en train de siffler, au creux d’un habitacle fissa s’engouffrer. Ensuite, tout de suite, pas à l’identique, ceci se reproduit, au ralenti, en travelling, l’observateur alors acteur. À l’hôpital, la cinéaste surcadre et zoome, Catherine crie, Marcello s’écroule. Famille, médecine, reprise du travail, invisibles funérailles, lui dessine, elle raconte des vérités et des craques, à une maman de « brigand » parmi un parc. « Il faut vivre », il convient de survivre, prétexte de fièvre, fatigue, grippe, reclus sans issue, aux rideaux tirés, prisonniers des portraits développés de la fillette défaite. Dehors, les « fantômes » monotones se secouent encore, par exemple spectacle à distance d’une violence « vivante » envers Air France, « vieilles actualités » de vitrines cassées. Dedans, le trio, beau-frère en renfort, mime des titres de films, dont Le Bal des vampires(1967), Deneuve & Trintignant soutien serein du polémique Polanski, L’Enfantsauvage(Truffaut, 1970), Un chien andalou (Buñuel, 1929), mimétisme « formidable », affirme la fumeuse (de Gitanes, rajoute Gainsbourg). Catherine râpe des carottes, avec une emmerdeuse amoureuse, malheureuse, papote, raye des mots amers, de dictionnaire, irrémédiable, impossible, mort. Lorsque le couple en déroute décide de prendre la route, de sortir à l’aube humide, la concierge connasse lâche « On s’habille pas comme ça quand on a perdu un enfant », bon vent. À l’arrivée, ils trouvent des moutons, des mariés, entendent Le Temps des cerises, dansent ensemble, se mouillent sous la pluie, font sourire une gamine. Soulignée d’une superbe citation de Shelley, au crépuscule surgit une curieuse photographie, dix ans avant le final de Shining (Kubrick, 1980). Aussi intime que Irréversible (Noé, 2002), autant éprouvant que La Passante du Sans-Souci (Rouffio, 1982), Le Petit Prince adit(Pascal, 1992), « Ça n’arrive qu’aux autres » évoque Cassavetes sevré d’alcool, Pialat privé d’engueulades, immortalise « l’incompréhensible », transcende ses stars, jamais vues ainsi, jadis, depuis. Si ne démérite, loin s’en faut, le remarquable Marcello, l’admirable Deneuve séduit, sidère, bouleverse, réduit à rien les détracteurs de sa fausse froideur, se hisse illicoau côté de Schneider & Girardot. Mise en scène obscène ? Lucide catharsis, douce et triste…
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